J.O. 178 du 3 août 2007       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
Ce document peut également être consulté sur le site officiel Legifrance


Décision n° 2007-449 du 5 juin 2007 relative à un différend opposant les sociétés Bolloré Média et TPS


NOR : CSAX0701449S



Le Conseil supérieur de l'audiovisuel,

Vu la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment son article 17-1 ;

Vu le décret no 2006-1084 du 29 août 2006 pris pour l'application de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 et relatif à la procédure de règlement des différends par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ;

Vu le règlement intérieur du Conseil supérieur de l'audiovisuel ;

Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 20 octobre 2006, présentée par la société Bolloré Média, dont le siège social est 31-32, quai de Dion-Bouton, 92800 Puteaux, représentée par la SCP Vier, Barthélémy & Matuchansky, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, et Me Jacques Rossi ;

La société Bolloré Média demande au conseil de décider :

- que la société TPS est tenue, d'une part, de positionner dans le plan de services applicable au réseau de distribution de services de télévision par voie satellitaire qu'elle exploite, en premier les chaînes gratuites nationales afin de favoriser ces chaînes dont les ressources sont exclusivement fournies par la publicité et, d'autre part, d'affecter à chacune de ces chaînes le numéro logique que lui a attribué le conseil afin de ne pas perturber les habitudes des téléspectateurs et de garantir entre elles une parfaite égalité de traitement ;

- que la société Bolloré Média, éditeur du service de télévision Direct 8, est fondée à obtenir que la société TPS fasse droit, en application de l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986, à sa demande d'attribution du numéro de canal 8 pour être référencé dans le plan de services du réseau TPS et que ce numéro, attribué au programme de la chaîne Direct 8, ne pourra pas être modifié sans l'accord préalable de la société Bolloré Média ;

Vu les observations en défense, enregistrées le 9 novembre 2006, présentées par la société TPS, dont le siège social est 145, quai de Stalingrad, 92130 Issy-les-Moulineaux, représentée par Me Olivier Sprung ;

La société TPS demande au conseil :

- à titre principal : de saisir le Conseil de la concurrence afin qu'il se prononce sur sa compétence, et, dans cette attente, suspendre la procédure ;

- à titre subsidiaire : de déclarer irrecevable la demande formée par la société Bolloré Média en ce qu'elle revêt un caractère normatif et général qui, s'il était fait droit à cette demande, aboutirait à une décision de nature réglementaire excédant la compétence du conseil ;

- en tout état de cause, de rejeter la demande de la société Bolloré Média comme non fondée en constatant l'absence de pratique discriminatoire susceptible d'être imputée à la société TPS ;

Vu les observations en réplique, enregistrées le 16 novembre 2006, présentées par la société Bolloré Média et tendant aux mêmes fins ;

Vu les nouvelles observations en défense, enregistrées le 31 octobre 2006, présentées par la société TPS et tendant aux mêmes fins ;

Vu la décision du directeur général du Conseil supérieur de l'audiovisuel de nommer M. Bernard Celli rapporteur et Mme Emilie Béraud rapporteur adjoint ;

Vu la décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 24 octobre 2006 relative à l'extension du délai dans le cadre du différend opposant les sociétés Bolloré Média et TPS ;

Vu le courrier du Conseil supérieur de l'audiovisuel en date du 16 novembre 2006 transmettant un questionnaire aux parties ;

Vu la réponse au questionnaire adressée au Conseil supérieur de l'audiovisuel par la société Bolloré Média le 12 décembre 2006 ;

Vu la saisine du Conseil de la concurrence par le Conseil supérieur de l'audiovisuel en date du 19 décembre 2006 ;

Vu le courrier du Conseil de la concurrence en date du 20 février 2007 ;

Vu le courrier du Conseil supérieur de l'audiovisuel en date du 15 mars 2007 convoquant les parties à une audience le 23 mars 2007 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu le 23 mars 2007, lors de l'audience devant le collège :

- le rapport de M. Bernard Celli, rapporteur, présentant les conclusions et les moyens des parties ;

- les observations de M. Jean-Christophe Thiery et de Me Jacques Rossi, pour la société Bolloré Média ;

- les observations de M. Frédéric Mion et de Me Olivier Sprung, pour la société TPS ;

Les sociétés Bolloré Média et TPS ayant fait connaître leur volonté de ne pas s'opposer au caractère public de l'audience, celle-ci s'est déroulée publiquement, conformément à l'article 33 du règlement intérieur du conseil ;

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel en ayant délibéré le 5 juin 2007, en la seule présence du secrétaire du collège.



I. - Sur la recevabilité de la demande de la société Bolloré Média


La société Bolloré Média ne justifiant d'aucune qualité pour agir pour le compte des chaînes gratuites nationales, sa demande doit être regardée comme tendant à obtenir le numéro 8 pour la chaîne Direct 8 dans le plan de services de TPS.

Etant donné que cette demande vise à ce que le conseil précise les conditions permettant de garantir que l'offre de programmes de la chaîne Direct 8 soit mise à la disposition du public dans des conditions non discriminatoires, ces conclusions, en tant qu'elles relèvent du champ d'application des dispositions de l'alinéa 2 de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, sont recevables.


II. - Sur la saisine du Conseil de la concurrence


Le conseil, réuni en assemblée plénière le 19 décembre 2006, a décidé de saisir le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, de la présente demande de règlement de différend.

Par courrier en date du 20 février 2007, le Conseil de la concurrence a fait savoir au Conseil supérieur de l'audiovisuel qu'il avait décidé « de ne pas se saisir d'office de la situation créée par les pratiques de numérotation des chaînes sur le marché de la distribution des chaînes de télévision ». Il estime que les litiges portés devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel soulèvent en réalité un problème de principe sur le mode d'exposition des chaînes par les distributeurs et appellent une réponse générale sur le choix d'une organisation de la numérotation qui soit conforme aux règles prévues par la loi du 30 septembre 1986 et tienne compte de la nécessaire préservation des équilibres du secteur audiovisuel dans son ensemble.

Le Conseil de la concurrence ajoute : « L'autorité de concurrence peut constater et sanctionner, au cas par cas, d'éventuelles pratiques de discrimination de la part d'opérateurs dominants. Elle peut aussi recueillir de leur part des engagements susceptibles de répondre à ses préoccupations de concurrence et clore l'affaire après avoir rendu obligatoires de tels engagements. Mais elle ne peut apporter, par la voie contentieuse ou négociée, de réponse satisfaisante à la question de principe évoquée plus haut, qui relève au premier chef de la compétence du régulateur spécialisé qu'est le Conseil supérieur de l'audiovisuel. »


III. - Sur le bien-fondé de la demande de la société Bolloré Média

II-1. Sur la discrimination alléguée par la société Bolloré Média


La société Bolloré Média estime qu'il n'y aurait pas lieu de distinguer la situation des chaînes dites « historiques », c'est-à-dire diffusées en mode analogique sur l'ensemble du territoire métropolitain préalablement à leur diffusion en mode numérique, et la situation de la chaîne Direct 8 en ce que ces diverses chaînes seraient aujourd'hui toutes diffusées en mode numérique et qu'elles évolueraient dans le même univers concurrentiel.

Le Conseil relève que, même si les dispositions du III de l'article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986 permettent de favoriser les chaînes gratuites de la TNT, elles n'ont à s'appliquer que lorsqu'elles s'inscrivent dans le cadre d'un appel à candidatures.

Ensuite, au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat, une différence objective de situation permet de justifier une différence de traitement, dès lors que celle-ci est en rapport avec l'objet de la décision qui l'établit.

En l'espèce, il apparaît que les chaînes « historiques » sont dans une situation différente des autres chaînes gratuites de la TNT, pouvant justifier une différence de traitement du point de vue de la numérotation par les distributeurs de services.

Ainsi, sur le plan économique, plusieurs éléments montrent l'existence d'une différence objective de situation, dans la mesure où les chaînes « historiques » représentent environ 75 % d'audience cumulée sur la TNT et où elles appartiennent à des univers concurrentiels différents.

En effet, même si le modèle économique de ces deux catégories de chaînes repose sur l'accès au marché publicitaire, les espaces publicitaires commercialisés par les chaînes « historiques » n'apparaissent pas substituables à ceux qui sont commercialisés par les nouvelles chaînes de la TNT. Au regard des différences dans le tarif pratiqué au même horaire, les espaces publicitaires des chaînes « historiques » et des autres chaînes gratuites de la TNT correspondent à des besoins différents des annonceurs. Cela se traduit notamment par des chiffres d'affaires très différents, dans un rapport de 1 à plus de 100.

Partant du constat qu'il existe des éléments de fait qui distinguent les chaînes « historiques » des autres chaînes de télévision, tels que l'antériorité, la reconnaissance de leur identité éditoriale par le public ou l'expérience acquise dans le domaine audiovisuel, le législateur a tenu compte de cette différence de situation en permettant qu'elles bénéficient, seules, d'un traitement particulier. Il impose ainsi au conseil d'autoriser la reprise intégrale et simultanée en mode numérique des chaînes « historiques » dont les programmes sont diffusés en mode analogique. De même, il reconnaît aux seules chaînes « historiques » le bénéfice d'un « canal bonus » pour un second service en mode numérique.

Les critères d'audience, de continuité d'occupation du numéro et d'appartenance à un univers concurrentiel particulier peuvent justifier une différence de traitement du point de vue de la numérotation. Le conseil estime donc qu'il y a adéquation entre l'objet de la discrimination et la différence de situation.

II-2. Sur la recommandation du conseil en date du 6 décembre 2005 à l'égard des distributeurs de la télévision numérique terrestre et relative à la numérotation des chaînes gratuites La société Bolloré Média allègue que le regroupement des 18 chaînes gratuites de la TNT sur le plan de services de TPS serait conforme à la recommandation du conseil du 6 décembre 2005 à l'égard des distributeurs de la TNT et relative à la numérotation des chaînes gratuites.

Le conseil rappelle que cette recommandation ne s'applique qu'aux distributeurs de la TNT, et en aucun cas aux distributeurs de télévision n'utilisant pas des fréquences assignées par lui.


II-3. Sur l'objectif de satisfaction des téléspectateurs


La société Bolloré Média soutient que l'attribution à la chaîne Direct 8 d'un numéro de canal différent selon que le service est distribué par câble ou par satellite ou selon qu'il peut être reçu par voie hertzienne terrestre en mode numérique, serait contraire à l'objectif de satisfaction des téléspectateurs.

Comme le Conseil constitutionnel l'a énoncé dans sa décision no 86-217 DC du 18 septembre 1986, les téléspectateurs « sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté [de communication] proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789 ». S'agissant des services de la TNT, ce principe a fait l'objet d'une attention particulière du conseil qui, lors de l'adoption de sa recommandation du 6 décembre 2005, a souligné la nécessité de concilier « l'équité entre les chaînes et la satisfaction des téléspectateurs, notamment en ne perturbant pas leurs habitudes ». Pour autant, il n'apparaît pas que l'objectif de satisfaction des téléspectateurs puisse être remis en cause par le changement du canal de référencement du service lorsqu'une nouvelle chaîne de la TNT est reprise par un distributeur de services du câble ou du satellite.

Le conseil relève en effet que, dans la majorité des cas, les téléspectateurs abonnés aux services du câble et du satellite ont eu directement accès aux programmes des nouvelles chaînes de la TNT par le plan de services de leur distributeur. Ainsi, il n'a pu y avoir préalablement d'association entre la dénomination commerciale de la chaîne et le numéro logique d'accès aux programmes tel qu'il a été retenu pour la réception hertzienne terrestre en mode numérique.

En outre, compte tenu du caractère encore récent de l'accès aux offres de programmes par l'intermédiaire d'un distributeur de services par câble ou par satellite, la majorité des téléspectateurs a d'abord eu accès à l'offre de services des chaînes « historiques » par un mode de diffusion hertzien terrestre dont l'ordre de présentation s'échelonnait du numéro 1 au numéro 6. Dès lors, au moment de constituer leurs plans de services, les distributeurs ont pu légitimement considérer que leurs nouveaux abonnés souhaiteraient conserver le repère de la présence des chaînes « historiques » aux positions habituelles.

Par ailleurs, s'agissant de l'exposition des nouvelles chaînes de télévision, la prise en compte de l'intérêt des téléspectateurs montre le bien-fondé d'une présentation par thématiques dans le cadre des offres de programmes des distributeurs de services du câble et du satellite. Ainsi, l'analyse des marchés pertinents de la communication audiovisuelle et l'examen de la substituabilité du côté de la demande montrent que les genres thématiques correspondent à de fortes attentes des téléspectateurs.

En ce sens, la Commission européenne a pu identifier, notamment dans la décision du 14 août 2002 Sogecable/CanalSatellite Digital/Via Digital, l'existence des marchés spécifiques des chaînes de cinéma et de sport. De même, le Conseil de la concurrence a identifié un marché distinct de la thématique information dans sa décision no 03-D-59 du 9 décembre 2003. Cette délimitation a été effectuée notamment au regard des habitudes de consommation des téléspectateurs.

Le conseil reconnaît également la pertinence d'un classement par thématiques depuis plusieurs années.

Dans le contexte d'une offre composée d'un nombre restreint de chaînes, le conseil a estimé, dans sa décision no 2004-524 du 14 décembre 2004 attribuant les quatorze premiers numéros des chaînes de la TNT, qu'un mode d'attribution des numéros des chaînes de la TNT par tirage au sort était à même de remplir l'objectif de satisfaction des téléspectateurs. En revanche, dans le cadre d'une offre composée d'un nombre élevé de chaînes, cet objectif est mieux satisfait lorsque celles-ci font l'objet d'un regroupement par thématiques directement identifiables par les téléspectateurs.

Il résulte de ce qui précède que la société Bolloré Média n'est pas fondée à soutenir que l'objectif de satisfaction des téléspectateurs devrait conduire à étendre au plan de services d'un distributeur par câble ou par satellite le numéro du canal attribué à la chaîne Direct 8 pour sa réception hertzienne terrestre en mode numérique.


II-4. Sur l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986


La société Bolloré Média soutient qu'en application des dispositions de l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986, la société TPS devrait nécessairement attribuer à la chaîne Direct 8 le même numéro de canal que celui qui est utilisé pour la réception de son service par voie hertzienne terrestre en mode numérique.

Aux termes de cet article , « Tout distributeur de services fait droit, dans des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires, aux demandes des éditeurs de services de télévision [gratuite hertzienne] tendant, d'une part, à permettre l'accès, pour la réception de leurs services, à tout terminal utilisé par le distributeur pour la réception de l'offre qu'il commercialise et, d'autre part, à assurer la présentation de leurs services dans les outils de référencement de cette offre. »

Ces dispositions visent à permettre l'accès des chaînes hertziennes gratuites aux décodeurs. C'est le cas de la chaîne Bolloré Média qui dispose effectivement d'un accès aux décodeurs de la société TPS.

Par ailleurs, cet article donne aux chaînes hertziennes gratuites un accès aux « outils de référencement ». Or, dans sa décision no 2004-497 DC du 1er juillet 2004, le Conseil constitutionnel a spécifié qu'il s'agissait exclusivement des « guides électroniques de programme ». L'accès aux « outils de référencement » ne concerne donc pas la numérotation.

Enfin, les distributeurs doivent faire droit aux demandes d'accès aux décodeurs « dans des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires ». Ces dispositions sont issues de la transposition en droit interne de la directive 2002/19 /CE du Parlement européen et du conseil du 7 mars 2002, qui concerne les conditions économiques d'accès, dans un cadre général commun à tous les réseaux de communications électroniques, sans considération relative à la numérotation. En outre, dans sa décision susmentionnée, le Conseil constitutionnel a souligné, concernant l'article 34-4 précité, que « le législateur a entendu concilier la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle avec l'intérêt général s'attachant à la possibilité donnée aux éditeurs d'accéder aux décodeurs des distributeurs, laquelle favorise la diversification de l'offre de programmes et la liberté de choix des utilisateurs ».

Ainsi, il n'apparaît pas que le législateur ait entendu imposer aux distributeurs de services, en plus de l'obligation d'accès et de référencement des chaînes gratuites de la TNT, des obligations particulières en matière de numérotation.

En conséquence, si l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986 impose aux distributeurs de services du câble, du satellite ou de l'ADSL de proposer, à la demande des éditeurs, une offre d'accès, la société Bolloré Média ne saurait se prévaloir de ces dispositions pour obtenir que le numéro 8 lui soit attribué par la société TPS.

De tout ce qui précède, il résulte que la demande présentée par la société Bolloré Média doit être rejetée.

Décide :


Article 1


La demande de règlement de différend présentée par la société Bolloré Média est rejetée.

Article 2


La présente décision sera notifiée aux sociétés Bolloré Média et TPS et publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré le 5 juin 2007 en présence de M. Michel Boyon, président, Mme Elisabeth Flüry-Hérard, M. Christian Dutoit, Mme Agnès Vincent-Deray, Mme Marie-Laure Denis, Mme Sylvie Genevoix, Mme Michèle Reiser, M. Alain Méar et M. Rachid Arhab, ainsi que de Mme Elisabeth Mauboussin, secrétaire du collège.


Fait à Paris, le 5 juin 2007.


Pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel :

Le président,

M. Boyon